Communiqué

Décision n° 2019-785 QPC du 24 mai 2019 - Communiqué de presse

M. Mario S. [Point de départ du délai de prescription de l'action publique en matière criminelle]
Conformité

Le Conseil constitutionnel déduit des articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 un nouveau principe constitutionnel. Selon ce principe, en matière pénale, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l'écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l'action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er mars 2019 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 7 du code de procédure pénale, tel qu'interprété par la Cour de cassation.

En application des dispositions contestées, le délai de prescription de l'action publique en matière de crimes court à compter du jour où le crime a été commis. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la prescription des infractions continues, dont l'élément matériel se prolonge dans le temps par la réitération constante de la volonté coupable de l'auteur, ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets.

Il était reproché par le requérant à ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, de rendre imprescriptible une infraction continue lorsque la partie poursuivie a échoué à démontrer qu'elle n'a pas été commise ou qu'elle a pris fin. Il en serait résulté, notamment, une méconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, que le requérant demandait au Conseil constitutionnel de reconnaître, imposant au législateur de prévoir un délai de prescription de l'action publique pour les infractions « dont la nature n'est pas d'être imprescriptible ».

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel a tout d'abord écarté la thèse de l'existence d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République de prescription de l'action publique en matière pénale. À cet égard, le Conseil constitutionnel a relevé que si, dans leur très grande majorité, les textes pris en matière de procédure pénale dans la législation républicaine intervenue avant l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 comportent des dispositions relatives à la prescription de l'action publique en matière criminelle, la prescription a été écartée pour certains crimes, par deux fois au moins, par les lois du 9 mars 1928 et du 13 janvier 1938 portant révision du code de justice militaire respectivement pour l'armée de terre et l'armée de mer.

En revanche et de manière inédite, le Conseil constitutionnel a ensuite jugé qu'il résulte du principe de nécessité des peines, protégé par l'article 8 de la Déclaration de 1789, et de la garantie des droits, proclamée par l'article 16 de la même déclaration, un principe selon lequel, en matière pénale, il appartient au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à l'écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription de l'action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions. Le Conseil constitutionnel a ainsi précisé sa jurisprudence relative à la prescription de l'action publique, notamment sa décision n° 98-408 DC du 22 janvier 1999 par laquelle il avait jugé que l'imprescriptibilité « des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale » est conforme à la Constitution.

Confrontant à l'exigence constitutionnelle ainsi consacrée les dispositions contestées telle qu'interprétées par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions ont pour seul effet de fixer le point de départ du délai de prescription des infractions continues au jour où l'infraction a pris fin dans ses actes constitutifs et dans ses effets. En prévoyant que ces infractions ne peuvent commencer à se prescrire tant qu'elles sont en train de se commettre, les dispositions contestées fixent des règles qui ne sont pas manifestement inadaptées à la nature de ces infractions. Le Conseil constitutionnel relève en outre que, contrairement à ce que soutenait le requérant, il ne résulte pas de ces dispositions une impossibilité pour une personne poursuivie pour une infraction continue de démontrer que cette infraction a pris fin, le juge pénal appréciant souverainement les éléments qui lui sont soumis afin de déterminer la date à laquelle l'infraction a cessé.

Par ces motifs, le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution les dispositions contestées de l'article 7 du code de procédure pénale.