Communiqué

Décision n° 2018-777 DC du 28 décembre 2018 - Communiqué de presse

Loi de finances pour 2019
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel censure certaines dispositions de la loi de finances pour 2019

Par sa décision n° 2018-777 DC du 28 décembre 2018, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi de finances pour 2019, dont il avait été saisi par un recours émanant de plus de soixante députés.

Étaient notamment critiqués par les députés requérants, outre sa procédure d'adoption et sa sincérité, cinq articles de la loi.

* Pour reprocher à la loi déférée de contrevenir à l'exigence constitutionnelle de sincérité budgétaire, les députés requérants faisaient valoir, en particulier, qu'elle aurait insuffisamment pris en compte les conséquences des mesures nouvelles prévues par le projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales à l'origine de la loi du 24 décembre 2018 et d'avoir retenu des prévisions de déficit fondées sur des mesures non encore adoptées, comme la taxe sur les grandes entreprises du numérique ou le report de la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, ou sur des mesures d'économie qui ne se sont pas traduites par des baisses des autorisations d'engagement et des crédits de paiement correspondants.
Faisant application de la jurisprudence constante selon laquelle la sincérité de la loi de finances de l'année se caractérise par l'absence d'intention de fausser les grandes lignes de l'équilibre qu'elle détermine, le Conseil constitutionnel a relevé que la loi de finances n'est pas tenue d'intégrer à ses prévisions de déficit des mesures non encore acquises à la date de son adoption. Toutefois, si l'évolution des charges ou des ressources était telle qu'elle modifierait les grandes lignes de l'équilibre budgétaire, il appartiendrait en tout état de cause au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative.

* Examinant les critiques adressées par les députés requérants, au regard du principe d'égalité devant les charges publiques, à certaines dispositions de l'article 40 de la loi visant à assouplir certaines conditions auxquelles est subordonnée l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit en cas de transmission des parts ou actions de sociétés faisant l'objet d'un engagement collectif de conservation (dispositif dit du « Pacte Dutreil »), le Conseil constitutionnel a notamment relevé qu'aux termes de ces dispositions, d'une part, le maintien du bénéfice de l'exonération en cas de cession ou de donation pendant la période d'engagement collectif de conservation ne s'applique que dans le cas où la transmission est opérée au profit d'un autre associé de cet engagement. D'autre part, les titres cédés ou donnés n'en bénéficient pas.
La cession de titres à des associés soumis à l'engagement collectif ne remettant pas en cause la stabilité de l'actionnariat et la pérennité de l'entreprise, il a jugé que ces dispositions ne sont pas, au regard de l'objectif poursuivi par le législateur qui est précisément de favoriser la transmission d'entreprise dans des conditions permettant d'assurer tant cette stabilité de l'actionnariat que la pérennité de l'entreprise, de nature à entraîner une rupture caractérisée devant les charges publiques.

* Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution le paragraphe I de l'article 112 de la loi déférée, qui modifie l'article 167 bis du code général des impôts prévoyant une imposition des plus-values latentes constatées sur les droits sociaux, valeurs, titres ou droits lors du transfert par un contribuable de son domicile hors de France lorsque ces mêmes droits sociaux, valeurs, titres ou droits représentent au moins 50 % des bénéfices sociaux d'une société ou lorsque leur valeur globale excède 800 000 euros à cette même date (dispositif dit de l' « exit tax »).
Il relève que, en instituant une imposition ne concernant que certains dirigeants et actionnaires de sociétés qui, à raison de l'importance des participations qu'ils détiennent, sont susceptibles de vendre leurs titres à l'étranger afin d'éluder l'acquittement de l'imposition sur les plus-values en France, le législateur a entendu favoriser la lutte contre l'évasion fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle.
En prévoyant un sursis de plein droit pour le paiement de cet impôt en cas de transfert du domicile fiscal dans un État membre de l'Union européenne, ou ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ou une convention d'assistance mutuelle en matière de recouvrement et en réduisant le délai de conservation des droits à l'issue duquel les plus-values latentes ne sont plus imposées, le législateur a retenu des critères qui ne sont pas dépourvus de caractère objectif et rationnel. Il n'a pas non plus créé une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

* En revanche, le Conseil constitutionnel a partiellement censuré l'article 81 de la loi déférée, en ce qu'il exige, pour les étrangers non ressortissants d'un État membre de l'Union européenne, d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui résident en Guyane, des délais spécifiques de détention d'un titre de séjour pour bénéficier du revenu de solidarité active.
Aux termes de ces dispositions, un étranger ressortissant des Etats précités doit, pour bénéficier du revenu de solidarité active en Guyane, être titulaire depuis quinze ans d'un titre de séjour l'autorisant à travailler. Lorsque cet étranger est une personne isolée assumant la charge d'enfants ou une femme isolée en état de grossesse, ces mêmes dispositions réduisent ce délai à cinq ans. Sur les autres parties du territoire de la République, à l'exception de Mayotte, le premier de ces délais est de cinq ans, tandis qu'il n'en est pas exigé dans le second cas.
Le Conseil constitutionnel relève que ces dispositions instituent une différence de traitement, pour l'obtention du revenu de solidarité active, entre les étrangers résidant en Guyane et ceux résidant sur d'autres parties du territoire de la République, à l'exception de Mayotte.
Il juge que si la population de la Guyane comporte, par rapport à l'ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière et si ces circonstances constituent, au sens de l'article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, afin de lutter contre l'immigration irrégulière en Guyane, d'y adapter, dans une certaine mesure, les lois applicables sur l'ensemble du territoire national, le législateur a, en imposant un délai de détention plus long en Guyane que sur le reste du territoire national aux seules fins de lutte contre l'immigration irrégulière, introduit une condition spécifique pour l'obtention du revenu de solidarité active sans lien avec l'objet de celui-ci. En outre, les dispositions contestées s'appliquent, en Guyane, à l'ensemble des étrangers en situation régulière, y compris à ceux légalement entrés sur son territoire et s'y étant régulièrement maintenus de manière continue. Elles s'appliquent également à des étrangers résidant en Guyane ayant régulièrement résidé précédemment sur une autre partie du territoire national en ayant un titre de séjour les autorisant à travailler.
Le Conseil constitutionnel en déduit que, s'il appartient au législateur de définir les mesures propres à permettre de lutter contre l'immigration irrégulière, la différence de traitement instituée en matière d'accès au revenu de solidarité active ne saurait être regardée comme justifiée au regard de l'objet de la loi. En outre, elle dépasse la mesure des adaptations susceptibles d'être justifiées par les caractéristiques et contraintes particulières de la collectivité de Guyane.

* Enfin, pour des raisons de procédure, le Conseil constitutionnel a censuré :
- les mots « et 2020 », « et en 2020 » et « est revalorisé de 0,3 % le 1er avril 2020 » figurant respectivement aux paragraphes I, II et III de l'article 210, prévoyant la revalorisation annuelle de certaines prestations sociales financées par le budget de l'Etat selon un taux inférieur à celui de l'inflation. Il a jugé que ces dispositions s'appliquant au-delà de l'année 2019 ne peuvent être regardées comme affectant directement les dépenses budgétaires de l'année au sens du b du 7 ° du paragraphe II de l'article 34 de la loi organique du 1er août 2001 et, dès lors, ne trouvent pas leur place dans la loi de finances pour 2019.
- les articles 29, 52, 53, 54, 128, 221, 236, 249 et 251, ainsi que le paragraphe XIV de l'article 83 et le paragraphe III de l'article 130 comme revêtant le caractère de « cavaliers » ou comme ayant été adoptés en méconnaissance de la règle dite de l'entonnoir.