Décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 - Communiqué de presse
Par sa décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, qui compte 114 paragraphes, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, dont il avait été saisi par deux recours émanant, l'un, de plus de soixante députés et l'autre, de plus de soixante sénateurs.
Étaient contestées tant la procédure d'adoption de la loi que, sur le fond, plusieurs de ses dispositions.
Sur le fond, le Conseil constitutionnel a écarté les critiques adressées à l'article 6, réformant la procédure d'examen des demandes d'asile devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) afin notamment de réduire de cent-vingt à quatre-vingt-dix jours, à compter de l'entrée de l'étranger sur le territoire national, le délai de présentation de la demande d'asile au-delà duquel celle-ci peut être examinée par l'Office selon une procédure accélérée. Examinant un grief tiré de l'atteinte au droit d'asile, il a relevé que la procédure accélérée d'examen d'une demande d'asile ne dispense pas l'OFPRA de procéder à un examen individuel de chaque demande dans le respect des garanties procédurales prévues par le législateur, le demandeur ayant le droit de se maintenir en France pendant l'examen de sa demande. Il a en outre jugé que ne méconnaît pas les droits de la défense ni le droit à un procès équitable garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen le délai de cinq semaines imparti à la Cour nationale du droit d'asile, qui statue alors en juge unique, en cas de recours contre une décision rendue par l'office selon la procédure accélérée.
Le Conseil constitutionnel a également jugé conformes à la Constitution des dispositions des articles 8, 20 et 24 de la loi déférée supprimant dans plusieurs hypothèses l'exigence de consentement de l'intéressé pour le recours à la vidéo-audience pour l'organisation de certaines audiences en matière de droit d'asile ou de droit au séjour. Sont concernés l'examen de recours formés devant la Cour nationale du droit d'asile, l'examen par le tribunal administratif du recours formé contre la décision de refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile et, le cas échéant, contre celle de transfert vers l'État responsable de l'examen de la demande d'asile. Sont également concernés l'autorisation par le juge des libertés et de la détention de la prolongation du maintien en zone d'attente d'un étranger et le recours formé contre la décision de ce juge, ainsi que l'examen par le tribunal administratif du recours formé, par l'étranger placé en rétention administrative, assigné à résidence ou détenu contre une obligation de quitter le territoire français et ses décisions connexes ou contre la décision d'assignation à résidence.
À ce titre, le Conseil constitutionnel a relevé qu'en permettant que les audiences considérées puissent se tenir au moyen d'une communication audiovisuelle, le législateur a entendu contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics. Relevant les garanties prévues par le législateur dans ces différentes hypothèses du point de vue de l'organisation des audiences, dont l'assistance de la personne par son conseil si elle en a un, il a jugé que, compte tenu notamment des caractéristiques de ces procédures, les dispositions contestées ne méconnaissaient ni le droit à un recours juridictionnel effectif, ni les droits de la défense, ni le droit à un procès équitable.
Le Conseil constitutionnel a également jugé conforme à la Constitution l'article 16, instaurant une condition supplémentaire, spécifique à Mayotte, pour l'acquisition de la nationalité par un enfant né de parents étrangers, à raison de sa naissance et de sa résidence en France. Aux termes de cette disposition, il est exigé que, au moment de la naissance, l'un des parents réside en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois.
A ce titre, le Conseil constitutionnel a relevé que la population de Mayotte comporte, par rapport à l'ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu'un nombre élevé et croissant d'enfants nés de parents étrangers. Cette collectivité est ainsi soumise à d'importants flux migratoires. Ces circonstances constituent, au sens de l'article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, afin de lutter contre l'immigration irrégulière à Mayotte, d'y adapter, dans une certaine mesure, non seulement les règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, mais aussi celles régissant l'acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France.
Le Conseil constitutionnel s'est également fondé sur ce que ces dispositions se bornent à modifier certaines conditions d'exercice du droit à l'acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France. Elles sont applicables à l'ensemble des enfants nés à Mayotte de parents étrangers, quelle que soit la nationalité de ces derniers ou leur origine géographique, et n'instituent ainsi aucune discrimination contraire à la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution.
S'agissant de la réforme par l'article 29 des conditions de prolongation d'une mesure de rétention administrative prise à l'encontre d'un étranger sous le coup d'une mesure d'éloignement, le Conseil constitutionnel a rappelé, selon une jurisprudence constante, que le placement en rétention d'un étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire doit respecter le principe, résultant de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties. Au nombre de celles-ci figure la liberté individuelle.
Dans le cadre ainsi rappelé, il a jugé que l'atteinte à la liberté individuelle qui résulte, aux termes de la disposition contestée, de l'allongement à quatre-vingt-dix jours de la durée maximale de la rétention administrative d'un étranger est adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif de prévention des atteintes à l'ordre public poursuivi par le législateur. Il s'est notamment fondé à cet égard sur le fait que le placement d'un étranger en rétention administrative, dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, ne peut être justifiée que par l'absence de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite et qu'un étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet. Il a toutefois assorti cette déclaration de constitutionnalité d'une réserve d'interprétation selon laquelle l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient.
Le Conseil constitutionnel a également jugé conformes à la Constitution certaines dispositions de l'article 38, qui tirent les conséquences de sa décision n° 2018 717/718 QPC du 6 juillet 2018 en étendant les exemptions pénales en faveur des personnes mises en cause sur le fondement du délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger aux personnes poursuivies au titre du délit d'aide à la circulation irrégulière d'un étranger. Il a rappelé que l'aide apportée à l'étranger pour son entrée irrégulière en France a nécessairement pour conséquence, à la différence de celle apportée pour sa circulation ou son séjour, de faire naître une situation illicite. Il en déduit qu'il est loisible au législateur de réprimer toute aide apportée à un étranger afin de faciliter ou de tenter de faciliter son entrée sur le territoire national est sanctionnée pénalement, quelles que soient la nature de cette aide et la finalité poursuivie, dès lors que, en application de l'article 122-7 du code pénal, la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace autrui, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne, à moins d'une disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace, n'est pas pénalement responsable.
En revanche, pour des raisons de procédure, le Conseil constitutionnel a censuré par la décision de ce jour le paragraphe I de l'article 15, l'article 42, le 4 ° de l'article 52 et l'article 72 de la loi.