Communiqué

Décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 - Communiqué de presse

Loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Non conformité partielle - réserve

Par sa décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, dont il avait été saisi par plus de soixante députés.

Les requérants contestaient notamment les articles 1er, 3, 10, 17 et 18 de cette loi en tant qu'ils ratifient respectivement certaines dispositions des ordonnances nos 2017-1385, 2017-1386, 2017-1387 et 2017-1389 du 22 septembre 2017 et de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017. Ils contestaient également plusieurs dispositions de la loi modifiant ou complétant les dispositions résultant de ces mêmes ordonnances.

Plusieurs éléments de cette décision s'étendant sur 116 paragraphes peuvent être relevés.

- Le Conseil constitutionnel censure le 9 ° de l'article 6 de la loi, qui modifiait la rédaction de l'article L. 2314-10 du code du travail issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017.

Ces dispositions introduisaient une dérogation aux règles de droit commun en matière d'élections partielles organisées par l'employeur afin de pourvoir les sièges vacants au sein de la délégation du personnel du comité social et économique. L'employeur était dispensé d'en organiser lorsque les vacances résultaient de l'annulation, par le juge, de l'élection de membres de ce comité en raison de la méconnaissance des règles tendant à une représentation équilibrée des femmes et des hommes.

Le Conseil constitutionnel juge qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, d'une part, éviter que l'employeur soit contraint d'organiser de nouvelles élections professionnelles alors que l'établissement des listes de candidats relève des organisations syndicales et, d'autre part, inciter ces dernières à respecter les règles contribuant à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein du comité social et économique. Toutefois, les dispositions contestées pouvaient aboutir à ce que plusieurs sièges demeurent vacants au sein de la délégation du personnel du comité social et économique, pour une période pouvant durer jusqu'à quatre ans, y compris dans les cas où un collège électoral n'est plus représenté au sein de ce comité et où le nombre des élus titulaires a été réduit de moitié ou plus. Ces dispositions pouvaient ainsi conduire à ce que le fonctionnement normal du comité social et économique soit affecté dans des conditions remettant en cause le principe de participation des travailleurs. Le Conseil constitutionnel en déduit que les dispositions issues de la loi contestée portent une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs, tel qu'il est énoncé par le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

- S'agissant des conditions de recours contre les conventions ou accords collectifs, telles que prévues par l'article L. 2262-14 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 que ratifie l'article 1er de la loi contestée, le Conseil constitutionnel écarte les griefs tirés par les députés requérants de l'atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, au principe de participation et à la liberté syndicale.

Il relève notamment qu'en fixant, par ces dispositions, à deux mois le délai de recours de l'action en nullité, le législateur a entendu garantir leur sécurité juridique en évitant qu'ils puissent être contestés longtemps après leur conclusion et que l'article L. 2262-14 ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par la voie de l'exception, l'illégalité d'une clause de convention ou d'accord collectif, à l'occasion d'un litige individuel la mettant en œuvre.

Examinant le 2 ° de l'article L. 2262-14 selon lequel, hormis à l'égard des organisations syndicales disposant d'une section syndicale dans l'entreprise, le délai de recours ne commence à courir qu'à compter de la publication de l'accord collectif dans une base de données nationale, le Conseil constitutionnel relève que le deuxième alinéa de l'article L. 2231-5-1 du code du travail prévoit que les parties signataires de l'accord peuvent décider qu'une partie de cet accord ne fera pas l'objet de cette publication. Par une réserve d'interprétation, il juge que, dans ce cas, le délai de recours contre ces parties d'accord non publiées ne saurait, sans méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif, courir à l'encontre des autres personnes qu'à compter du moment où elles en ont valablement eu connaissance.

- En revanche, le Conseil constitutionnel écarte les reproches de méconnaissance du principe de participation des travailleurs et de la liberté syndicale que le recours adressait aux articles L. 2232-21 et L. 2232-23 tels qu'issus de l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, lesquels permettent à l'employeur, dans une entreprise comptant moins de vingt salariés, de soumettre à la consultation des salariés un projet d'accord ou un avenant de révision portant sur les thèmes ouverts à la négociation collective d'entreprise.

Le Conseil constitutionnel relève à ce titre que, en permettant sous certaines conditions à l'employeur, dans les entreprises employant jusqu'à vingt salariés, de proposer un projet d'accord collectif à la consultation du personnel, le législateur a souhaité développer les accords collectifs dans les petites entreprises en prenant en compte l'absence fréquente de représentants des salariés pouvant négocier de tels accords dans ces entreprises. Les dispositions contestées ne prévoient la possibilité pour l'employeur de soumettre un projet d'accord collectif à la consultation du personnel que si l'entreprise est dépourvue de délégué syndical et, dans les entreprises de onze à vingt salariés, en l'absence, en outre, de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique. Le projet d'accord doit être communiqué par l'employeur à chaque salarié et un délai minimum de quinze jours doit s'écouler entre cette communication et l'organisation de la consultation. En outre, le projet d'accord n'est validé que s'il recueille une majorité des deux tiers des voix du personnel. Enfin, les modalités d'organisation de la consultation doivent en tout état de cause respecter les principes généraux du droit électoral.

- Le Conseil constitutionnel juge également conformes à la Constitution certaines dispositions de l'article L. 2254-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant de l'article 2 de la loi déférée définissant les conditions dans lesquelles un accord de performance collective peut modifier certains éléments de l'organisation du travail, de la rémunération des salariés ou de leur mobilité géographique ou professionnelle afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver ou de développer l'emploi.

Selon une jurisprudence constante, il se déduit du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 disposant que « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ... » qu'« il incombe au législateur de poser des règles propres à assurer le droit pour chacun d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre. Il lui incombe également d'assurer la mise en œuvre de ce droit tout en le conciliant avec les libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 ».

À cette aune, le Conseil constitutionnel juge que, d'une part, en prévoyant qu'un accord de performance collective peut être conclu s'il est justifié par des nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise, le législateur a entendu permettre aux entreprises d'ajuster leur organisation collective afin de garantir leur pérennité et leur développement. Le Conseil constitutionnel rappelle qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s'assigne le législateur pourraient être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé. En outre, il appartient aux partenaires sociaux de déterminer, lors de la négociation de l'accord, les motifs liés au fonctionnement de l'entreprise justifiant d'y recourir et, à ce titre, de s'assurer de leur légitimité et de leur nécessité. Par ailleurs, en vertu de l'article L. 2232-12 du code du travail, pour être adopté, l'accord doit soit être signé par des organisations syndicales représentatives majoritaires, soit être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés s'il n'a été signé que par des organisations syndicales représentatives minoritaires ayant recueilli plus de 30 % au premier tour des dernières élections des membres titulaires du comité social et économique. Enfin, le cas échéant, la pertinence des motifs ayant justifié l'accord peut être contestée devant le juge.

D'autre part, si le salarié qui s'oppose à la modification de son contrat de travail par un accord de performance collective peut être licencié pour ce motif, le législateur a apporté à ce licenciement les mêmes garanties que celles prévues pour le licenciement pour motif personnel, en matière d'entretien préalable, de notification, de préavis et d'indemnités. En outre, le fait que la loi ait réputé le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse n'interdit pas au salarié de contester ce licenciement devant le juge afin qu'il examine si les conditions prévues aux paragraphes III à V de l'article L. 2254-2 du code du travail sont réunies. Enfin, en vertu du paragraphe V de cet article, le licenciement ne peut intervenir que dans les deux mois à compter de la notification du refus par le salarié de la modification de son contrat de travail.

- Le Conseil constitutionnel écarte la critique formée par le recours contre le douzième alinéa de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction résultant du 3 ° du paragraphe I de l'article 11 de la loi déférée, prévoyant que, dans le cadre de certaines procédures de licenciement, « les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude ».

Il juge que, en prévoyant que la cause économique d'un licenciement dans une entreprise appartenant à un groupe peut être appréciée au niveau des entreprises appartenant au même groupe, situées seulement sur le territoire national et relevant du même secteur d'activité, le législateur n'a pas méconnu le droit à l'emploi. Il relève en outre qu'il résulte des termes mêmes de la loi que cette appréciation cantonnée au territoire national ne s'applique pas en cas de fraude, quelle qu'en soit la forme, notamment par l'organisation artificielle de difficultés économiques au sein d'une filiale.

- Sont enfin censurés comme adoptés selon une procédure irrégulière car dénués de lien direct ou indirect avec le projet de loi initial les articles 9, 12, 14 et 20 de la loi déférée.