Décision n° 2018-756 QPC du 17 janvier 2019 - Communiqué de presse
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 17 octobre 2018 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 697-1 du code de procédure pénale.
Cet article réserve aux juridictions spécialisées en matière militaire prévues à l'article 697 du même code la compétence pour connaître des crimes et délits commis par les militaires dans l'exercice du service, notamment dans leurs missions de maintien de l'ordre.
Le requérant et la Ligue des droits de l'Homme, intervenante, reprochaient à ces dispositions d'instituer une différence de traitement injustifiée entre les parties civiles selon que l'auteur de l'infraction commise dans l'exercice d'une mission de maintien de l'ordre présente la qualité de militaire ou celle de membre de la police nationale.
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle, au regard des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, que si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect des principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions.
Dans le cadre constitutionnel ainsi rappelé, il constate que les dispositions contestées établissent bien une différence de traitement entre les justiciables selon que l'auteur de l'infraction commise dans le service du maintien de l'ordre a la qualité de militaire de la gendarmerie ou de membre de la police nationale.
Examinant le statut des juridictions spécialisées prévues par l'article 697 du code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel relève qu'elles sont désignées parmi les tribunaux de grande instance et les cours d'assises. Elles présentent trois spécificités par rapport à ces juridictions judiciaires ordinaires. Leur ressort territorial est nécessairement étendu à celui d'une ou de plusieurs cours d'appel. Les magistrats des tribunaux correctionnels spécialisés en matière militaire y sont spécialement affectés après avis de l'assemblée générale. Enfin, en vertu des articles 698-6 et 698-7 du même code, lorsque les cours d'assises spécialisées jugent un crime autre que de droit commun ou lorsqu'il existe un risque de divulgation d'un secret de la défense nationale, elles sont uniquement composées de magistrats. Il en déduit que ces règles d'organisation et de composition de ces juridictions spécialisées en matière militaire présentent, pour les justiciables, des garanties égales à celles des juridictions pénales de droit commun, notamment quant au respect des principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel constate que la gendarmerie nationale relève des forces armées. À ce titre, les militaires de la gendarmerie sont soumis aux devoirs et sujétions de l'état militaire définis à la quatrième partie du code de la défense. Comme les autres militaires, ils sont justiciables, en raison de leur statut, des infractions d'ordre militaire prévues aux articles L. 321-1 à L. 324-11 du code de justice militaire, lesquelles peuvent être commises de manière connexe à des infractions de droit commun. En outre, ils sont justiciables, en vertu de l'article L. 311-3 du même code, de peines militaires spécifiques, prononcées par la juridiction, comme la destitution ou la perte de grade. Enfin, ils sont également soumis à certaines procédures spécifiques d'exécution des peines, définies au titre VI du livre II du même code. Le Conseil constitutionnel juge que, compte tenu de ces particularités de l'état militaire, il était loisible au législateur, au nom de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, de prévoir la spécialisation des formations juridictionnelles chargées de connaître des infractions de droit commun commises par les militaires dans l'exercice de leur service, afin de favoriser une meilleure appréhension de ces particularités.
Constatant que les militaires de la gendarmerie demeurent soumis à ces règles spéciales dans leur activité de maintien de l'ordre, le Conseil constitutionnel juge, au regard de l'ensemble des motifs qui précèdent, qu'ils ne sont pas placés, pour les infractions commises dans ce cadre, dans la même situation que les membres de la police nationale. Dès lors, en dépit des similitudes du cadre d'action des militaires de la gendarmerie et des membres de la police nationale dans le service du maintien de l'ordre, le législateur n'a pas, en se fondant sur les particularités de l'état militaire des gendarmes pour prévoir la compétence des juridictions spécialisées en matière militaire, instauré de discrimination injustifiée entre les justiciables.
Par ces motifs, les dispositions contestées sont jugées conformes à la Constitution.