Communiqué

Décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018 - Communiqué de presse

M. Farouk B. [Mesure administrative d'assignation à résidence aux fins de lutte contre le terrorisme]
Non conformité partielle - effet différé - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2017 par le juge des référés du Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, issu de la loi n° 2017 1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, entrée en vigueur le 1er novembre 2017, à l'issue d'une période au cours de laquelle avait été déclaré l'état d'urgence.

Cet article autorise le ministre de l'intérieur, aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, à interdire à certaines personnes de se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé. Cette assignation à résidence peut être assortie d'une obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie et d'une obligation de déclarer son lieu d'habitation et tout changement de ce lieu.

Il était reproché à ces dispositions de méconnaître la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et familiale et le droit au recours effectif. En outre, le requérant estimait que, cette mesure d'assignation à résidence étant analogue à celle prévue par l'article 6 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, le législateur aurait dû prévoir des dispositions transitoires entre ces deux régimes d'assignation à résidence.
Dans sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel s'est attaché au champ d'application de la mesure contestée et aux garanties dont est assortie sa mise en œuvre.

En premier lieu, quant à son champ d'application, la mesure d'assignation à résidence ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'un acte de terrorisme. Le ministre de l'intérieur ne peut la prononcer qu'à la double condition, d'une part, d'établir qu'il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne visée par la mesure constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et, d'autre part, de prouver soit que cette personne entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des « organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme », soit qu'elle soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes.

En deuxième lieu, le périmètre géographique de l'assignation à résidence ne peut être inférieur au territoire de la commune et doit permettre à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle. L'obligation de présentation périodique aux services de police ou aux unités de gendarmerie ne peut excéder une présentation par jour.
En troisième lieu, la durée de la mesure d'assignation à résidence est limitée dans le temps. Elle peut être initialement prononcée ou renouvelée que pour une durée maximale de trois mois, chaque renouvellement étant subordonné, au-delà d'une durée cumulée de six mois, à la production par le ministre de l'intérieur d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée de ces obligations ne peut excéder douze mois.
Énonçant à ce titre une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel juge que, compte tenu de la rigueur de la mesure prévue par les dispositions contestées, cette dernière ne saurait, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée et le droit à une vie familiale normale, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois.

Une dernière série de garanties tient au contrôle du juge administratif auquel peut être soumise la mesure. À ce titre, le Conseil constitutionnel procède à une double censure partielle des dispositions contestées.

D'une part, s'agissant du recours pour excès de pouvoir, qui est le recours « de droit commun » contre un acte de l'administration, l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure prévoyait qu'il pouvait être formé devant le tribunal administratif dans un délai d'un mois après la notification de la mesure ou la notification de son renouvellement. Toutefois, le Conseil constitutionnel juge que, compte tenu de l'atteinte qu'une telle mesure porte aux droits de l'intéressé, en limitant à un mois le délai dans lequel l'intéressé peut demander l'annulation de cette mesure et en laissant ensuite au juge un délai de deux mois pour statuer, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Par conséquent, les mots « dans un délai d'un mois » figurant à la première phrase du dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure sont censurés. Il juge que le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur l'annulation de la mesure dans de brefs délais.

D'autre part, l'article contesté prévoyait que toute décision de renouvellement de la mesure étant notifiée à la personne en cause au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur, celle-ci pouvait saisir, dans les quarante-huit heures, le juge des référés du tribunal administratif, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, afin qu'il ordonne toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde de ses droits et libertés. Ce recours est suspensif. Le Conseil constitutionnel relève qu'aux termes du même article L. 521-2, le contrôle mis en œuvre par le juge des référés est limité aux atteintes graves et manifestement illégales. Il juge en conséquence qu'en permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-delà de trois mois sans qu'un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement, le législateur a opéré une conciliation manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Pour ces motifs, il censure les mots « sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative » figurant à la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure. Compte tenu du caractère manifestement excessif des conséquences que cette censure pourrait avoir, il reporte au 1er octobre 2018 la date de cette abrogation.

Au total, le Conseil constitutionnel prononce ainsi deux censures partielles des dispositions contestées. Pour le reste, sous la réserve d'interprétation relative à la durée maximale de la mesure, le Conseil constitutionnel juge qu'au regard de ce qui précède, le reste des dispositions contestées, qui ont à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure d'assignation à résidence et apporté les garanties nécessaires, assurent une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir, le droit au respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale et le droit à un recours juridictionnel effectif.

Il juge enfin que la mesure d'assignation à résidence prévue par l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure ne répond pas aux mêmes conditions que celle prévue par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans le cadre de l'état d'urgence, et n'a pas non plus la même portée. Par conséquent, le fait qu'une même personne puisse successivement être soumise à l'une puis à l'autre de ces mesures d'assignation à résidence n'imposait pas au législateur de prévoir des mesures transitoires destinées à tenir compte de cette succession.