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Cérémonie de Vœux du Président de la République au Conseil constitutionnel

Le 5 janvier 2016, les membres du Conseil constitutionnel ont été reçus à l'Élysée par le Président de la République à l'occasion de la cérémonie des vœux.

Discours de Jean-Louis DEBRÉ, Palais de L’Élysée – 5 janvier 2016


Monsieur le Président de la République,

Bonne et chaleureuse année à vous-même, à tous ceux qui vous sont chers, à vos collaborateurs.

Que cette année 2016 soit pour les français et les françaises, ce « rêve d'avenir partagé » pour reprendre l'expression de Renan.

Pour le Conseil constitutionnel, l'année 2015 a été marquée par le décès d'Hubert Haenel. Européen engagé, c'était un humaniste.

Nous avons accueilli avec satisfaction Jean-Jacques Hyest.

Un nouveau Secrétaire général, Laurent Vallée a succédé à Marc Guillaume. Je veux devant vous, Monsieur le Président de la République, rendre un hommage particulier à ces deux hauts fonctionnaires.

Monsieur le Président de la République, la France a tremblé en 2015.

A sa place, le Conseil constitutionnel a eu à connaître de différents textes qui ont été conçus pour tenter de parer les menaces dont notre pays est la cible.

Ainsi, en contrôle a priori, il s'est prononcé sur la loi relative au renseignement, que vous lui avez vous-même déférée, c'était une initiative sans précédent en matière de contrôle de constitutionnalité de la loi. Après une censure, le Conseil constitutionnel a eu à connaître de la loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales.

En contrôle a posteriori, les QPC, le Conseil s'est en particulier prononcé sur les dispositions relatives à l'interdiction de sortie du territoire français. Très récemment, il a aussi statué, en onze jours, sur les dispositions de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, modifiée par la loi du 20 novembre dernier, qui régissent les assignations à résidence.

Politiques et medias ont trop souvent tendance à réduire la portée de telles décisions à leur impact immédiat sur l'actualité politique ou sur les désaccords du moment. Elles ne sont lues qu'en fonction de l'écume de l'actualité. Ce n'est pas ce qui importe.

L'essentiel c'est la jurisprudence. Stable, d'application prévisible, il lui revient à la fois d'encadrer l'action des pouvoirs publics et de répondre aux nombreux défis de notre temps. Elle se doit d'être indifférente aux tumultes du moment et pénétrée de l'idéal républicain qui est au cœur de notre Constitution.

Dans les affaires que j'ai évoquées, il était frappant de constater combien les projets du Gouvernement, les rapports et les débats parlementaires faisaient largement référence à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Parlement s'est positionné au regard de cette jurisprudence. C'est ainsi qu'en amont même des décisions qu'il rend, le Conseil constitutionnel contribue à la défense des droits et libertés garantis par la Constitution.

C'est pourquoi cette année, comme les précédentes, nous avons tenté de maintenir une jurisprudence ferme, cohérente, et soucieuse de garantir à nos concitoyens l'application des droits et libertés prévus par la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a rendu au total 146 décisions en 2015, dont 86 en contrôle de la loi. 68 QPC ont été jugées, soit une de plus que l'an dernier, et 18 décisions ont été rendues sur saisine a priori.

L'année fut riche en raison de l'activité législative. Outre les textes que j'ai déjà mentionnés, le Conseil a statué sur la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, sur la loi organique relative à la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ou encore sur la loi relative au dialogue social et à l'emploi.

S'agissant de la QPC, inutile je crois d'y insister, elle est désormais pleinement installée et le temps où elle n'existait pas paraît déjà bien loin.

Ce travail, qui a conduit le Conseil constitutionnel à rendre en 5 ans plus de décisions qu'il n'en avait rendu en plus de 50 ans, a été réalisé grâce à un effectif stable, en particulier le même nombre de collaborateurs qu'il y a neuf ans et un budget, cette année encore, en diminution. Comme le remarque le rapport de la Commission des finances du Sénat, au total notre budget aura, volontairement de notre part, été réduit de plus de 23 % en cinq ans.

Monsieur le Président de la République, dans deux mois le Conseil aura une nouvelle composition. Ces neuf années furent une expérience passionnante en particulier en raison de l'aventure de la QPC qui a donné une dimension au Conseil que personne ne pouvait tout à fait anticiper.

La QPC a, au fond, accentué les traits les plus éminents de notre institution :

- un rôle essentiel d'arbitrage et de régulation des pouvoirs publics ; - une vigilance sans faille sur la garantie des droits et libertés, exercée dans des conditions totalement renouvelées ; - enfin indépendance et mesure, les qualités qui doivent caractériser toutes nos décisions.

En résumé, avec la QPC, à la défense des grandes libertés s'est ajouté le souci des droits individuels de chacun.

La QPC a l'avenir devant elle. Ceux qui nous succèderont auront, j'en suis sûr, à cœur de prolonger le travail accompli depuis la révision constitutionnelle pour continuer de la faire vivre.

Avec le recul dont je dispose, que je peux qualifier d'expérience, il me paraît néanmoins capital de laisser intactes ses caractéristiques principales.

Alors qu'en bientôt six ans, le Conseil constitutionnel a commencé à développer une jurisprudence qui, pour être jeune, est néanmoins essentielle, je trouve regrettable qu'on s'intéresse moins aux lignes de force de cette jurisprudence qu'à l'institution qu'est le Conseil constitutionnel. On se passionne pour les règles de fonctionnement de l'institution en oubliant que ce sont ses décisions qui forgent son autorité et sa crédibilité.

Je veux dire ici, de nouveau, combien les sempiternelles idées relatives, par exemple, aux opinions dissidentes ou à l'augmentation du nombre des membres du Conseil procèdent d'une méconnaissance profonde de notre institution.

A l'inverse, je reconnais qu'il conviendra peut-être, pour poursuivre l'évolution du Conseil, d'envisager que les anciens Présidents de la République ne soient plus membres de droit. Il pourrait être également permis, sous certaines conditions, au Défenseur des droits et aux autorités administratives indépendantes de saisir directement le Conseil sans passer par le filtre du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.

Peut-être aussi, je sais combien cette idée soulève encore d'oppositions, conviendra-t-il que le Conseil constitutionnel, dans le futur, s'interroge sur l'extension de son contrôle au respect des conventions internationales. En somme, doit-il continuer de se borner au seul contrôle de constitutionnalité ?

Ce sont les décisions du Conseil constitutionnel, par leur contenu et la sécurité qu'elles apportent, qui permettent d'accorder le Conseil et la Constitution au mouvement de l'histoire, sans jamais renoncer aux principes qu'elle contient.

Bientôt six ans de jurisprudence constitutionnelle depuis la QPC, c'est beaucoup dans un pays qui n'en avait guère. C'est néanmoins très peu par rapport à des cours comparables. Laissons au Conseil constitutionnel le temps d'évoluer de lui-même, comme nous l'avons fait au cours de ces neuf dernières années. Espérons qu'une nouvelle page de son histoire va pouvoir s'écrire.

Monsieur le Président de la République, au moment où notre société connaît des violences et des convulsions inédites, votre charge et vos responsabilités sont particulièrement essentielles pour la nation. En vous renouvelant ses vœux pour l'année 2016, le Conseil constitutionnel vous assure de sa volonté de continuer à œuvrer pour que la Constitution soit l'un des lieux de rassemblement de notre pays.

Mais permettez-moi de terminer par cette citation de Jaurès extraite de son discours lors de la traditionnelle cérémonie des Prix au Lycée d'Albi le 30 juillet 1903 :

« Dans notre France moderne, qu'est-ce donc que la République ? C'est un grand acte de confiance. Instituer la République, c'est proclamer que des millions d'hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu'ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l'ordre ; qu'ils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n'iront pas jusqu'à une fureur chronique de guerre civile, et qu'ils ne chercheront jamais dans une dictature même passagère une trêve funeste et un lâche repos ».